Mme la préfet et le cochon de sainte Thérèse

Publié le par Voyage du catamaran Lifou

 

Mme la préfet est l’enfant unique d’une respectable famille. Le père avocat, la mère elle-même issue de bonne famille. Domiciliée dans le 16ieme, école privée, fac de droit, elle rencontre son futur mari au cours d’une soirée. Il vient de Bordeaux, bonne famille, excellente éducation après des études de droit, il intègre brillamment l’ENA. Tout se présente pour le mieux pour le jeune couple. Suite à son entrée au ministère de l’intérieur, le jeune couple achète un bel appartement aux environs du champ de mars. Après quelques années au ministère nomination comme préfet adjoint dans la Creuse, puis dans le Nord. Le soutien appuyé de Monsieur à Jacques Chirac, lui vaudra sa première nomination de préfet dans le Nord, département qu’il connait maintenant bien. Puis c’est la cassure, Sarko prend les commandes de la France, la punition ne se fait pas attendre, ce sera la préfecture de Wallis ! Madame est atterrée, « Wallis c’est en France ? ». « Pas tout à fait, c’est un territoire d’outre-mer autrefois rattaché à la Nouvelle-Calédonie ». Trois heures de vol depuis Nouméa, 30 heures de voyage depuis Paris, pour le shopping ce ne sera pas facile. Il reste à espérer qu’internet fonctionne et que les livraisons arrivent dans un délai raisonnable.

A l’arrivée de l’avion le « Lavelua » (Le rois de Wallis) et les principaux « Matu’a » (chefs de village) sont là, ainsi bien sûr que le préfet sortant et sa femme venus accueillir chaleureusement leurs remplaçants.

Voilà deux ans maintenant que Monsieur le Préfet et Madame le Préfet sont en place. C’est la déprime dans le couple. Monsieur ronge son frein, il ne se passe rien de bien excitant, quelques histoires d’alcoolismes, quelques incestes, quelques règlements de comptes, une visite officielle une fois par an d’un ministre ou député,  ne permettent pas vraiment à Monsieur de se faire remarquer auprès du ministère ni de la presse et en tout cas ne lui permettent pas de mettre en valeur toutes ses capacités. En attendant il faut participer à toutes les cérémonies traditionnelles des villages… Madame se lamente avec les autres femmes de « palangi », majoritairement des milieux hospitaliers, enseignants et des représentants des diverses administrations. Si seulement elle avait du boulot. Le pire c’est les week-ends, le samedi, elle aimerait aller en famille sur les petites plages des motus le lagon est superbe ; il faut participer aux cérémonies traditionnelles. Les premières fois, c’était fascinant, mais une par semaine !

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Ce week-end, samedi 1er octobre c’est la Sainte Thérèse, Sainte patronne du village de Liku. La météo annonce beau temps, 30 degrés et vent faible, ce sera étouffant. La célébration commence à 10H par une messe. Monsieur gare la voiture devant l’église ; dans le pré, à côté de l’église, les offrandes sont déjà exposées. Les paniers tressés avec les feuilles de cocotiers, sont remplis de bananes, de « Mei » (fruit arbre à pain) de racines d’ignames et de taros, mais surtout les cochons sont là. Les choses ce week-end ont été faites en grand, 40 cochons sont alignés sur 4 rangs, les jambes en l’air.

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Les Wallisiens ont mis leurs tenues traditionnelles, colliers de fleurs et guirlandes. Monsieur remarque des touristes (il y a longtemps que les Français installés ici ne participent plus spontanément aux cérémonies !), c’est sûrement les personnes des bateaux arrivées cette semaine dans la baie.

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11 heures, la sortie de l’église, le placement des officiels va commencer. L’espace à l’ombre ne suffira pas pour tout le monde. Un des officiels fait signe à Monsieur le Préfet de venir à l’ombre, ouf ! Sa femme le suit, on lui fait signe de s’assoir en face avec les femmes.

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La cérémonie du kava commence. D’abord les femmes distribuent des colliers de fleurs et des ceintures décorées. Certains hommes les remercient en leur glissant des billets dans le corsage. Puis des discours et palabres en wallisien.

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Enfin c’est la préparation du kava, rien n’est improvisé, tout doit se faire selon la tradition. La distribution ne se fait pas au hasard, le maitre de cérémonie interroge le chef du village qui décide à qui est attribuée le bol( une coque de noix de coco polie), évidement par ordre d’importance.L’ordre n’est pas toujours le même et dépend de la cérémonie. Le tour de Monsieur le Préfet arrive, bien sûr impossible de refuser, reste à espérer pour lui que la dose ne sera ni trop importante ni trop forte !

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Après les notables, la distribution s’accélère un peu avec trois hommes préposés à la distribution. A nouveau des discours et palabres. Puis c’est la répartition des offrandes aux notables. A nouveau le maitre de cérémonie désigne le présent (en général le cochon) et cite le donateur, le chef du village attribue le présent. Monsieur et Madame le Préfet auront droit comme toutes les semaines à un beau cochon !

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La cérémonie se termine les notables se rendent dans la salle communale où les tables sont installées et couvertes de nourriture. Monsieur et Madame Le préfet suivent le chef du village. Les touristes sont invités à prendre place avec les notables. Cochon grillé, brochettes, steaks de bœufs, gigots d’agneau, crevettes, fruits de mer, salades de toutes sortes et racines de taro de manioc et d’igname cuites aux feux de bois et bien sûr des bananes. Pour les boissons, de l’eau, du coca et du vin, c’est évidemment le vin qui a le plus de succès. Le repas est vite expédié, les notables retournent s’assoir à l’ombre. La musique et les danses commencent. Pendant ce temps, les autres participants à la fête vont manger les restes de la table.

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A Wallis les danses ont la réputation d’être restées très traditionnelles. Les pères colonialistes du 19ième siècle se sont appuyés sur les coutumes pour imposer la religion catholique (avec succès).

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Après quelques danses, les gens déambulent autour des danseurs et des musiciens munis d’une liasse de billets bien visible. Au milieu des danseurs, ils glissent des billets sous les chemises, les chemisiers ou les accrochent dans les cheveux. Madame le préfet assume son rôle et fait généreusement des dons,et afin qu’ils ne soient pas mal interprétés, elle se contente de glisser ses billets dans le panier communautaire.

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15H c’est la fin, les gens partent tranquillement, les notables ayant abusé du kava sont allongés à l’ombre et ont des airs bien fatigués.

Le maitre de cérémonie, organise le transport des cochons, à deux ou trois à l’arrière d’un pickup, ils rejoignent leur dernière maison. Madame la préfet retrouvera le sien devant chez elle. Après ces quelques heures au soleil, la peau du cochon a rosi ! Pauvre bête !

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C’est bientôt les élections, Madame la préfet attend une nouvelle mutation pour son mari, reste à espérer que ce ne sera pas les Marquises !

Pour notre part, préfet des Marquises, même si cela nous parait un peu insolite, demanderait sérieuse réflexion.

 

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